Des chemins légèrement différents vers le même objectif
Sur l’illusion visant à présenter le Fatah d’Abou Mazen comme fondamentalement différent du Hamas, une tentative ayant pour but de présenter l’Autorité palestinienne comme un partenaire potentiel pour la stabilisation de la région, témoigne le chercheur et ancien officier du renseignement, le lieutenant-colonel (rés.)
Yonatan Dahoah-Halevy.credit photo journal ribonoutעיתון ריבונות
Dès les premiers jours de la guerre, des voix se sont fait entendre à gauche et au centre de l’échiquier politique israélien, posant la question du « lendemain ». Ces voix exigent des réponses immédiates du gouvernement et, en l’absence de celles-ci, déclarent l’ensemble de l’opération comme un échec. Lorsqu’on leur retourne la question, ils continuent de s’appuyer sur l’Autorité palestinienne (AP) et son dirigeant comme une alternative de gouvernance modérée pour la bande de Gaza.
Cette position bénéficie du soutien des pays européens et de l’administration américaine sortante, celle de Biden. Mais existe-t-il réellement un fossé idéologique profond entre le Fatah, dirigé par Abou Mazen, et le Hamas, qui a perpétré le massacre du 7 octobre et dont les combattants, formés et armés, continuent de se battre contre les forces de Tsahal à ce jour ? Nous avons posé la question au lieutenant-colonel (rés.) Yonatan Dahoah-Halevy, chercheur principal sur le Moyen-Orient et l’islam radical au Centre de Jérusalem pour les Affaires Publiques et la Sécurité.
Dahoah-Halevy étudie depuis de nombreuses années en profondeur l’évolution des mentalités au sein de l’AP. Ses recherches et enquêtes ont été portées à l’attention de nombreux décideurs politiques et militaires, comprenant des avertissements concrets sur des scénarios qui se sont réalisés ou ont été déjoués grâce à ses alertes. En réponse à nos questions, il souligne que ses propos ne reflètent aucune position politique particulière mais reposent uniquement sur une analyse professionnelle des données et de la réalité sur le terrain.
Les organisations palestiniennes et leurs différences
Il précise : « Il existe de nombreuses organisations palestiniennes, les principales étant le Fatah, dont Yasser Arafat a fondé l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le Hamas (Mouvement de la résistance islamique), le Jihad islamique palestinien et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Toutes ces organisations adhèrent aux mêmes principes fondamentaux : la revendication de l’ensemble des droits du peuple palestinien, sans exception, notamment le retrait total d’Israël des territoires conquis en 1967, y compris Jérusalem, l’établissement d’un État palestinien souverain avec Jérusalem pour capitale, et la réalisation du droit au retour (accompagné de compensations) des réfugiés palestiniens et de leurs descendants sur les territoires de l’État d’Israël. »
« Le désaccord entre ces organisations porte sur les méthodes à adopter pour atteindre ces objectifs. Le Fatah, qui est le pilier de l’Autorité palestinienne créée par l’OLP, considère que la diplomatie, soutenue par des moyens juridiques, combinée à la poursuite de la lutte armée, est la stratégie la plus efficace pour établir un État palestinien souverain, une étape cruciale vers la réalisation du « droit au retour ». Par le passé, le Hamas s’opposait à la stratégie diplomatique du Fatah. Cependant, à la suite de l’Intifada Al-Aqsa, le Hamas a progressivement évolué et est désormais prêt à accepter des démarches politiques tant qu’elles contribuent à l’atteinte des objectifs sans qu’il ait à renoncer à ses principes. »
Ce changement de position du Hamas, explique Dahoah-Halevy, est à l’origine du document politique publié par son leader Khaled Mechaal en 2017 et de plusieurs accords signés entre le Fatah et le Hamas, qui n’ont cependant jamais été mis en œuvre. « La raison en est la lutte de pouvoir entre le Fatah et le Hamas pour le contrôle du mouvement national palestinien. »
Le retrait de Gaza et du nord de la Samarie perçu comme une réussite
« Par le biais de ces accords, le Hamas a cherché à organiser de nouvelles élections générales, espérant ainsi prendre le contrôle de la Judée-Samarie et s’intégrer aux institutions de l’OLP pour en assurer la prise de contrôle totale, sachant que l’OLP est reconnue à l’international comme le représentant unique du peuple palestinien et de l’État de Palestine. »
En parallèle à l’intégration progressive du Hamas dans l’arène politique, l’AP maintient la position selon laquelle la lutte contre Israël, y compris armée, est une action légitime contre une puissance occupante. « La liste des entités terroristes désignées par l’AP ne comprend que des citoyens et organisations israéliens. Aucun individu ou organisation palestinienne n’a jamais été classé comme entité terroriste », note Dahoah-Halevy.
« La stratégie de l’AP repose sur le principe d’imposer un « coût de l’occupation » à Israël. La lutte contre la présence israélienne en Judée-Samarie et à Jérusalem vise à exercer une pression suffisamment forte pour forcer Israël à se retirer sans conditions. Du point de vue de l’AP, l’Intifada Al-Aqsa a validé l’efficacité de cette approche, ayant conduit Israël à se retirer unilatéralement de toute la bande de Gaza et de certaines zones du nord de la Samarie. »
Ainsi, l’AP mène un double jeu en ce qui concerne le terrorisme. « D’un côté, elle affiche une opposition de façade au terrorisme et affirme son engagement à le combattre. De l’autre, elle soutient ce qu’elle qualifie de « résistance populaire à l’occupation », qui se traduit par des manifestations, des émeutes, des affrontements violents, des jets de pierres, des cocktails Molotov, des fusillades et des attentats à l’explosif. » De plus, l’AP assure un soutien économique aux auteurs d’attentats et à leurs familles à travers des allocations mensuelles versées aux familles de martyrs, aux prisonniers de sécurité et aux blessés. « Ces allocations mensuelles sont perçues par l’AP comme un devoir sacré et inaliénable. »
Un chaos sécuritaire au service de l’AP
« Le chaos sécuritaire en Judée-Samarie sert les intérêts de l’AP puisqu’il est dirigé contre Israël, tout en lui permettant de prétendre qu’elle n’y est pour rien », explique Dahoah-Halevy. En ce qui concerne les récents affrontements à Jénine entre membres du Fatah et du Hamas, il affirme qu’ils servent à l’AP, qui cherche à se positionner comme une autorité légitime et capable de gouverner la bande de Gaza, en mobilisant des acteurs internationaux pour renforcer cette image.
À ceux qui pensent qu’un État palestinien conduira l’AP à déclarer la fin du conflit, Dahoah-Halevy répond : « Il existe un consensus palestinien selon lequel le conflit ne sera résolu qu’une fois tous les « droits » du peuple palestinien rétablis, y compris le droit au retour. Par conséquent, la création d’un État palestinien ne mettra pas fin au conflit. »
Ces dernières années, des attaques terroristes ont été menées contre des localités israéliennes le long de la ligne verte. Dans le nord de la Samarie, des activistes du Hamas ont mené des entraînements en vue d’infiltrations et d’attaques contre des implantations israéliennes. Selon la doctrine du Hamas, « les territoires de Judée-Samarie sont stratégiquement plus importants que la bande de Gaza en raison de leur contrôle sur les points névralgiques d’Israël central, leur permettant de porter un coup décisif à Israël en cas de conflit. L’attaque du 7 octobre est devenue une source d’inspiration pour les organisations palestiniennes en Judée-Samarie. »

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