Bonjour,
Je viens de lire un article au sujet du Mont du temple
Qu’en pensez vous ? Pourquoi certains juifs veulent absolument y monter si tous les plus grands l’interdisent formellement ?
Merci pour votre aide
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Shalom,
Tout d’abord avant de s’insurger contre ceux qui montent visiter le Mont du Temple, essayons de comprendre pourquoi certains rabbins l’interdisent, quelles sont leurs raisons et quelles sont les raisons des nombreux rabbins qui le permettent formellement.
Il s’agit d’une discussion d’halah’a (loi juive), ainsi, nous nous devons de considérer, intellectuellement et calmement, les arguments avancés pour pouvoir en juger.
Je ne souhaite pas traiter ici de la question politique qui en découle ainsi que de ses tenants et aboutissants, ni d’émettre un jugement sur le sujet. Comme vous pourrez le remarquer par la suite, j’ai une opinion sur la question, mais je vais essayer de présenter tout de même les choses le plus « objectivement » possible.
Nous pouvons, je crois, trouver trois raisons principales à l’interdiction formelle de monter sur le Mont du Temple.
1. La première est la peur d’être passible de « karet » (retranchement). En effet, le Rambam (hil. Beit HaBeh’ira 7,18) écrit que quiconque monte en état d’impureté (et aujourd’hui nous sommes tous dans cet état) au lieu où se trouvaient les « a’zarot » du Temple, c’est-à-dire au lieu exact du Temple est passible de « karet ». En effet, ces lieux sont saints et on ne peut y entrer en état d’impureté.
Ainsi, le Rambam ajoute (id. hal. 15) qu’il est toutefois tout à fait permis de monter, de visiter, même impurs (lorsque l’impureté ne sort pas de son corps – c’est pourquoi il faut aller au Mikveh avant, quoi qu’il en soit), tout lieu qui ne fait pas partie des « a’zarot » (enceintes).
En effet, nous savons qu’Hérode a aplani le Mont du Temple et y a ajouté au moins 2’000 coudées qu’il n’est absolument pas interdit de visiter. Le problème provient du fait que les décisionnaires durant les derniers siècles furent confrontés à une question difficilement solvable : où sont les a’zarot et où est le lieu permis d’entrée.
Le Radbaz déjà (II, 639) traita la question il y a plus de 500 ans et tenta de calculer les lieux permis d’entrée et ceux interdits. Il se base entre autres sur un traité de Mishna – le traité de Midot – qui donne les mesures du Temple. En outre, il se basa également sur une ancienne tradition affirmant que le « Rocher de la Fondation » se situe sous le Dôme du Rocher, ainsi là seraient les a’zarot et on ne pourrait y rentrer sans être passible, du moins selon le Rambam (il faut signaler ici que le Ra’avad de Posquières n’est pas de cet avis et selon lui, dès que le Temple fut détruit, tout le Mont perdit sa sainteté et il n’y a aucun interdit à rentrer où que ce soit… puisqu’ainsi on n’est pas passible de retranchement). L’inconvénient de sa réponse est que par la suite elle est plutôt confuse, chose qui a poussé de nombreux décisionnaires à ne pas s’appuyer sur sa réponse (cf. resp. Minh’at Itzh’ak V,1 et resp. Tzitz Eliezer X,1).
En outre, certains décisionnaires doutent même de cette « tradition », puisqu’on ne leur permettait pas de monter sur le Mont du Temple pour vérifier les mesures.
C’est-à-dire qu’au fil des générations des rabbins juifs voulaient monter sur le Mont du Temple, afin de pouvoir déterminer les limites, mais cela ne leur fut pas donné par les autorités locales qui bien souvent les en empêchaient (cf. à ce propos Dereh’ HaKodesh, écrit au 18ème siècle, ainsi que le Mishkenot Le’Abir Yaakov (II, p. 15), fin du 19ème siècle).
Ainsi, il devint difficile de déterminer ces limites. Puisqu’il en était ainsi – il est clair, à cause de du doute – que tout le Mont devient interdit (mishoum safek). Le risque de retranchement étant trop grand.
Toutefois, aujourd’hui, plusieurs études très sérieuses ont été faites, notamment par des chercheurs reconnus et des rabbins sérieux; nous avons des plans, des images satellites, de vues d’avion, etc. et pouvons déterminer, selon les découvertes archéologiques et les mesures évoquées dans le traité de Midot uniquement (sans se baser sur une quelconque tradition), quels lieux sont à 100% permis d’entrée. Ainsi, aujourd’hui quiconque respecte la halah’a et monte sur le Mont du Temple se fie à ses mesures et ne va qu’à des endroits très précis sur le Mont du Temple (cf. à ce propos le livre « Ve’assou Li Mikdash » du Rav Koren, ainsi que les articles d’Asher Grossberg et Ben Yashar cf. la revue « Teh’oumin », n°15, tout comme l’article de mon maître le Rav Ytzh’ak Shilat quant à la possibilité de construire une synagogue sur le Mont du Temple, aussi dans « Teh’oumin », n°7, p. 489; cf. encore à ce propos dans resp. Malki BaKodesh, IV, au début).
Il est à noter, et il faut bien le souligner, que tous ceux interdisant la montée au Mont du Temple de nos jours font abstraction totale de ces recherches et de leur contenu. Même des rabbins qui avaient et ont ces données à disposition et pourraient très bien délimiter et définir les lieux permis et interdits (cf. resp. Minh’at Itzh’ak et Tzitz Eliezer, id.). C’est notamment le cas du Rav Ovadia Yossef (resp. Yabia Omer V,26), dont les fils suivent la voie. Il est encore à noter que Rav Zinni de H’aifa a déjà clairement démontré que dans cette réponse du Rav Ovadia Yossef la conclusion – interdisant totalement de visiter le Mont du Temple – n’a que très peu de rapport, pour ne pas dire aucun, avec les arguments avancés sur la sainteté du lieu, puisqu’on connaît aujourd’hui des endroits qui y sont absolument permis selon tous les avis… Chose qui selon les arguments avancés ne serait pas interdite… Cela peut s’illustrer par ce que le dit la guemara (TB Sanhédrin 9b): « quiconque dit qu’il ne sait pas (dans un débat de halah’a – et par conséquent viendrait à être plus rigoureux à cause de cela, dans la mesure où l’on peut connaître exactement les faits), son avis n’est pas retenu ». Rabbi Avraham, fils du Rambam, dit par ailleurs (selon TB H’oulin 124a) que même un Sage tel Yehoshoua Bin Noun viendrait devant nous, s’il n’a pas de preuve rationnelle, d’argument valable, on ne doit pas l’écouter. A ce propos dit le Maharam de Lunzano (duquel le H’ida dit dans son Shem HaGuedolim qu’il s’agit d’un géant de la Torah à l’époque de Rav H’aim Vital et du Rema de Pano – Shtei Yadot, Etzba Revi’i): « bien que je sois astreint de respecter tous ceux auxquels je me suis opposé, toutefois, eux et moi sommes astreints à respecter la vérité! ».
2. La deuxième raison avancée est que si l’on permettait de monter, les foules monteraient sans distinction et sans faire attention à où il est permis de marcher et où cela est interdit et arriverait dans de nombreux cas à des endroits interdits.
Il s’agit, à mon avis, d’un argument de taille.
Toutefois, à son encontre, trois réserves peuvent être émises:
– Premièrement, il n’est pas dit que ce soit vrai dans tous les cas, et ce n’est donc pas une raison pour interdire, il ne s’agit que d’un doute ; la majorité des gens suivant la halah’a écoutent leur rabbins et si on leur disait où il est permis et où il est interdit d’aller, ils suivraient la voie. En effet, si un chemin clair est marqué (et que ce dernier est expliqué aux policiers qui accompagnent les juifs qui y montent par exemple), personne ne viendra à l’enfreindre. De la même manière qu’on n’interdit pas aux gens de se marier par peur que les gens ne vont pas respecter les lois de nidda et soient passibles de « karet »…
– Deuxièmement, le prix à payer est grand. Le Ramh’al nous enseigne dans le Messilat Yesharim (chap. 20), et cette idée se retrouve dans de nombreux autres sources de la littérature rabbinique, qu’on ne peut forcer les gens à la piété, surtout si celle-ci amène à la perte de notre lien avec ce lieu. Cette réserve, à la différence de la première considère effectivement l’argument interdisant comme valable, mais elle le voit s’annuler ici face à un autre argument dont la taille serait plus grande – la perte de notre lien avec ce lieu qui nous est sacré. Si nous n’exprimons pas – par peur de sainteté – notre attachement à ce lieu sacré, on pourra bientôt croire qu’il n’est tout simplement pas sacré à nos yeux… Ce qui serait bien entendu une aberration, surtout lorsque la question de l’appartenance du lieu est à l’ordre du jour. Ainsi, nous devrions marquer notre attachement à ce lieu qui fait partie si intégrale de notre identité. On pourrait développer longuement pourquoi certains juifs n’y tiennent absolument pas, cela leur faisant éventuellement peur, et quelle vision ils ont de l’identité juive, mais je ne crois pas que ce soit ni le moment, ni l’endroit idéal pour le faire.
– Troisièmement, il existe des règles précises dans la halah’a quant à la question de savoir si et quand il est permis de décréter – par peur de commettre un interdit, d’être coupable de retranchement – des décrets annulant des commandements positifs et il n’est pas évident que cela soit tout le temps permis. En effet, on ne peut pas décréter n’importe comment, il y a des règles. Ainsi, selon de nombreux décisionnaires, le fait de visiter, de s’approcher, du Mont du Temple constitue plusieurs commandements : la crainte du Temple (« mora mikdash ») qui s’accomplit même lorsque le Temple n’est pas construit (cf. TB Yevamot 6); « aliyah lareguel » lors des trois fêtes de pèlerinage; « leshih’no tidreshou », selon certains, etc. Donc, selon cela, la réserve avancée est qu’on ne peut pas annuler ces commandements positifs par peur de commettre un interdit éventuel…
Selon cette « réserve », cet argument – la peur que la foule aille dans des endroits interdits – n’a pas de raison d’être. Si la première réserve diminuait la force de cet argument et la seconde l’opposait avec un autre argument, celle-là l’annule.
3. La troisième raison avancée est d’ordre morale : on ne peut pas monter sur le Mont du Temple avant d’avoir « réparé » ce qui est nécessaire à sa construction. En d’autres termes, on a beaucoup de choses à faire avant de s’occuper de cela. Certaines personnes vont même plus loin et y voient « de l’idolâtrie » (sic)! Mais je crois qu’ils exagèrent, aucun décisionnaire ne peut prendre ce dernier argument au sérieux, au risque de transformer le Temple même, Maison de D’ieu, en lieu idolâtre (!). Cet argument – il faut nous purifier spirituellement et moralement avant de monter au Mont du Temple – est bien évidemment tout à fait juste et correct.
Toutefois, la réponse donnée est que de la même manière qu’il existe une différence au niveau de la halah’a entre les a’zarot et le reste du Mont du Temple, ainsi, il existe une différence « spirituelle » entre ces deux zones. Le fait de monter au Mont du Temple ne veut pas dire « construire le Temple hic et nunc (=ici et maintenant) », avant que la société n’y soit prête et ne soit pas « réparée »; non, cela se veut juste être une expression du lien que les juifs ont et expriment envers le Mont lui-même et ainsi, a fortiori, la Terre d’Israël. Oury Tzvi Grinberg, poète israélien du siècle dernier, disait: « quiconque gouverne le Mont, gouverne la Terre ». Ce n’est pas anodin. Le fait de ne pas monter sur le Mont du Temple se comprend chez la majorité des gens alentours que nous ne sommes pas intéressés par ce lieu. Il ne serait ainsi peut-être même pas sacré pour nous…
Nous avons donc vu qu’il y a trois raisons principales pour interdire – premièrement, le fait qu’une partie du lieu est sacrée et donc on interdit tout le lieu, par doute; deuxièmement, le fait que la foule entrerait volontairement ou non dans des lieux interdits si on permettait la montée ; troisièmement, que la société doit d’abord être « réparée » avant qu’on ne puisse reconstruire le Temple. Nous avons aussi vu qu’à chacun de ces arguments il existe une/des réponses et ce n’est pas pour rien que les rabbins sont partagés sur la question.
Rappelons aussi que le Rambam (dans ses lettres, éd. R »Y Shilat, p. 224), tout comme de nombreux autres rabbins racontent qu’ils sont montés sur le Mont du Temple, suivant en cela nos Sages dans le Talmud qui montèrent sur le Mont du Temple après sa destruction (cf. TB Makot 24b; Sanhédrin 11b et Rashi, ad loc.; TY Pessah’im 7,12; etc.). Le Maharatz H’ayout relève également (dans ses h’idoushim sur Nédarim 23), selon le midrash H’azit sur le verset du Cantique des cantiques (1,15), que même après la destruction du Temple, les tannaïm continuaient à monter en pèlerinage durant les trois fêtes !
Le Rav Rah’amim Nissim Yitzh’ak Palagi dit, de manière similaire, que Rabbi Yoh’anan Ben Zakkai, après avoir déménagé à Yavné, suite à la destruction du Temple, «montait» chaque année à Jérusalem, en pèlerinage, il écrit : « Et bénis soient les juifs qui accomplissent cela en toute génération avec grande joie et viennent chaque année des quatre coins de la Terre, proches et lointains, dans ce but… »
Sommes-nous plus Sages que nos Sages, que nos Rabbins au fil des générations qui montèrent et s’ils ne le pouvaient le regrettaient amèrement ?
Comment expliquer le fait que durant les premières générations de l’exil, les Juifs continuaient à venir au Mont du Temple pendant les fêtes de pèlerinage comme le racontent les Guéonim (cf. resp. Tashbetz III, 201) ?
Comment comprendre les propos de nos Sages affirmant qu’une prière proche du lieu du Temple est plus « importante », plus proche de la Porte des Cieux (resp. H’atam Sofer II YD 233; Sidour Yaavetz, p. 11; H’essed LeAvraham du Rav Avraham Azoulay grand-père du H’ida qui parle de s’approcher le plus possible de ce lieu sacré comme un mérite)?
Ainsi, je crois que les gens qui montent aujourd’hui, y vont surtout pour y prier. Pour défendre leur droit démocratique (par ailleurs défendu par la loi israélienne) à prier sur le Mont du Temple.
Bref, vous l’aurez compris, les deux côtés ont leur raison qui sont bonnes, certes, mais il faut s’en rappeler il s’agit surtout d’un débat de halah’a et trancher de manière aussi sèche dans un débat complexe, politisé et sur-médiatisé n’est pas toujours très adroit, même si c’est fait « leshem shamaim », au Nom du Ciel ; en plus cela peut constituer à dire du mal de nos ancêtres, comme le Rambam ou nos Sages qui seraient alors – selon ces propos – coupables de retranchement (!).
Cordialement,